Comment
rassembler les morceaux, réconcilier ?
Dans
ce questionnement, je m’intéresse au phénomène de séparation, de fragmentation,
au niveau perceptif et autres niveaux qui en découlent.
Au
phénomène de minéralisation.
Je
m’intéresse notamment au regard de notre société contemporaine, mécanisé, ancré
dans la rupture, et qui produit des spécialisations. Car il s’arrête à la
surface du monde, ne voit pas la profondeur et avec elles les racines et les
liens.
On
est là dans une pensée aride, minérale : dense et à la sécheresse cassante.
La
question est donc de dissoudre les rigidités, les lignes de démarcation,
de
redonner un centre à un paysage fragmenté, le réenchanter.
L’ensemble
de mes pièces fonctionne comme un conte phénoménologique (alchimique) à multiples
facettes où le regard lâche prise.
Ainsi mon travail pourrait s’inscrire dans une
perspective alchimique, si on considère l’alchimie dans son acte premier
d’unir, et ce par une attention, un calme intérieur permettant la
transformation.
On peut l’appeler aussi concentration ou
entendement.
Outre l’attitude de l’alchimiste , on peut
y voir aussi la vue du physicien quantique, ou le geste tournant et précis de
l’orpailleur dégageant un trésor.
How to gather up the
pieces, to reconcile ?
In this inquiry, I’m
interested by the phenomenom of fragmentation, mineralization, at a perceptual
level and other ones that are ensuing.
I’m especially interested
by the view of our contemporary society, mechanized, rooted in breakdown and
which produces specializations.
This view stops at the
world’s surface, doesn’t see the depth, and with it the roots and links.
The thought is arid,
mineral : dense, dry and brittle.
So the question is to
dissolve rigidities and dividing lines, to cross the fragments.
It’s to restore a center in
this fragmented landscape, it’s to reenchant it.
All the pieces operate as
facets of a phenomenological tale where the look lets go.
So my work could be part of
an alchemical perspective, if we consider alchemy in its original act of
uniting, by attention and inner calm.
We can see there the
attitude of the alchimist, the view of the quantum physicist, or the turning
and precise movement of the gold prospector that releases a treasure.
Citations
- « Dessiner, c’est aller loin dans les pierres »
(Bonnefoy « Remarques sur le dessin »)
- « Les dessins laissés sur les pierres des grottes abandonnées finissent toujours par les ouvrir »
(Roberto Juarroz)
- « Les courbes viennent d’on ne sait où, en
tout cas de plus loin que la cassure de la pierre »
(Roger Caillois)
- « Tout semble être
une totalité reliée et interdépendante dans l’infiniment petit.
Les caractéristiques
du microcosme semblent disparaître au moment de l’observation.
Cela pourrait s’expliquer
par l’influence de notre pensée qui, lors de l’observation, supprime la
superposition des états et fait apparaître une réalité matérielle visible.
Finalement, le monde
visible est un monde d’apparence mais non réel. »
(Claude Hespel,
métaphysicien)
- « Au début un
espace ouvert.
De ce déploiement est née l’aspiration
à danser. Et au sein de la danse, la tendance à tourner sur soi-même. Nous
avons trop tourné et sommes devenus trop actifs. Nous avons saisi l’espace
comme partenaire et avons voulu qu’il s’accorde à notre tonalité.
Ainsi nous avons solidifié
l’esapce. Sous l’effet de l’intensité de la danse, l’esprit s’est évanoui et s’est
réveillé dans un espace solide. »
(Gyétrul
Jigmé Norbu Rimpoché « Les 5 skandhas »)
- « Montre trop d’os
de chameau à un homme ou montre-lui en trop souvent et il ne reconnaîtra pas un
chameau quand il en rencontrera un vivant. »
(proverbe soufi)
- « Le corps est un
histoire, non une grammaire »
(René Daumal)
- « L’aveugle est le
mieux placé pour faire de la géométrie »
(Descartes)
- « Plus on cherche à
voir net, plus on s’éloigne de ce qui est à l’origine de ce qu’on voit »
(Leonard de Vinci)
- "L'être humain se perçoit
lui-même, avec ses pensées et ses émotions, comme une entité séparée, une sorte
d'illusion d'optique créée par sa conscience, et qui le maintient dans une
sorte de prison, une prison qui le limite à ses propres désirs et qui fait
qu'il n'accorde son affection qu'à ceux qui lui sont proches. La tâche de
l'être humain est de se libérer de cette prison, en élargissant le cercle de
ceux qui méritent son affection jusqu'à inclure le genre humain tout entier,
ainsi que la nature tout entière, dans toute sa beauté."
(Albert Einstein)
- « La pensée s’est adaptée à un monde confinée. Elle a ainsi une vision partielle de l’univers . »
- « Auparavant, toute l’humanité était dans un dialogue avec la nature et dans un rapport équilibré mais en occident le rapport est devenu très minéral.
Le rapport est devenu hyper dominant et la pensée très minérale."
(Pierre Rabhi)
- "Qui a le sens de l'unité a le sens de la multiplicité des choses, de cette poussière d'aspects par lesquels il faut passer pour les réduire et les détruire."
- "Qui a le sens de l'unité a le sens de la multiplicité des choses, de cette poussière d'aspects par lesquels il faut passer pour les réduire et les détruire."
(Antonin Artaud “Héliogabale ou l'anarchiste couronné”)
- « Pour faire acte de réminiscence il faut se mettre en mouvement, remonter à l’origine. C’est pourquoi nous nous souvenons à partir de lieux communs. La cause en est que l’on passe rapidement d’un point à l’autre, par exemple du lait au blanc, du blanc à l’air. »
(Aristote)
- « Que la pyramide redevienne un puits qu’elle aura toujours été »
(Derrida)
- « Sculpte de nouveau ta forme ancienne »
(Iqbal)
- « Je n’ai plus qu’une préoccupation, me refaire »
(Artaud)
- « Soit un miroir oxydé. Celui qui voudra le remettre en état devra s’acquitter de deux besognes : frotter et polir, c’est-à-dire disposer le miroir face au vrai. »
(Ghazâh)
- « La répétition polit les cœurs »
(Bahauddin)
- « Le miracle arrive quand s’éveille ce qui dormait sous nos yeux »
(Christian Bobin « L’homme-joie »)
- « Comment l’homme peut-il apprendre ce qu’il sait déjà ? »
- « La méconnaissance , c’est une façon de manquer celui-là en croyant connaître ceux-ci »
- « le langage et la vision (…) n’expriment le sens qu’à la condition de le détourner, ne conduisent au but qu’en allongeant le chemin »
(Jankelevitch « Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien »)
- « Adam et Eve ont changé leurs yeux (…), ont condensé le réel entièrement dans la chair »
(Jean Clair « Eloges du visible »)
- « L’âme est un œil qui commence à voir, à être pénétrant, quand la vision des yeux perd son intensité .
Alors apparaît la représentation de l’esprit. »
(Platon « Le Banquet »)
- « C’est lorsque la vue est empêchée de fonctionner que l’on a la sensation de la vue »
(Aristote « Le Traité de l’Âme »)
- « Il s’agit d’accueillir aussi bien la richesse ou capacité d’expansion que les qualités magnétiques,
sans créer de frontières solides. »
- « On croyait avoir brisé la glace, puis on s’aperçoit d’un seul coup qu’il n’existe aucune glace à briser. »
De la montagne la relative solidité.
Les parois dures, sèches et pourtant la poussée visible, sa trace. mais
toujours, elle est en train. Je pense aux pensées qui se figent, aux
définitions, aux identités, aux cristaux, aux géométries.
Tout paraît plat
parce qu’on y bute.
Comme si nous étions trop volumineux. Comment entrer ? ou sortir ?
sortir de ce qui apparaît ? Le regard de l'ogre réclame plus de volume, de la
quantité. Il est souvent grossier (de grosse densité), solide, trop pour voir
le petit.
Alors il en fabrique, des petits, en découpant.
Je me rappelle de gros regards affalés, de ceux qui cherchent à être
impressionnés, leur déni à l’égard de ceux qui parlent peu. Leur manque d'écoute. Leur peur du
silence. Le petit ne paraît pas assez, mais pourquoi devrait-il paraître plus ?
N’est-il pas déjà un point de passage qui permet de régler, de maîtriser,
de concentrer, de faire devenir la quantité une qualité.
L’œil, le sablier, le détail.
Les trésors au bout des longues brassées dans de grandes surfaces d’herbe
et de sable.
Point d’orgue. L’écoute. la danse.
C’est en répétant le geste, en le
répétant avec attention, qu’on n’ y pense plus, qu’on y est, et que quelque
chose s’ouvre à l’évidence. A
force de jeu d’équilibre entre trop et pas assez, j’avais senti tout à coup la
position, la tension juste, celle où je ne sentais plus de tensions déplacées,
nulle part. La ligne brisée
devenait une étendue libre par un saut.
Sur une marche, une camarade de classe nous avait réunis pour nous donner
une recette : je vais vous apprendre à faire un ballon, et elle n’avait
qu’un bout de papier misérable. Beaucoup de pliages, d’attention, de petits
gestes à plat, et soudain la magie d’un volume en soufflant par un petit trou
laissé comme un oubli.
Soudain. Un saut. De beaucoup à un. Quand tout se tient de lui-même, quand
tout va de soi.
Tout à point, tout à coup, ça
brille.
Périodiquement je participais à
l’astiquage des cuivres de la maison. Je n’utilisais pas le produit lustrant,
c’était plus long mais c’était à la seule action de ma main que le métal
brillait. Et j’étais fière car je pensais que c’était aussi ma volonté de
brillance qui provoquait une accélération de l’effet. J’aimais ce mouvement de dégagement pour un éclat lancé à la
perpendiculaire. Polir et réduire, faire remonter le trésor. Frotter. Masser.
Et faire émerger. Une surface carrée, en rêve, qui s’épaissit d’une fine couche
blanche onctueuse. J’y pose la main et trace de grands cercles dans l’épaisseur
qui diminue. Mes cercles semblent agir en même temps sur autre chose qui n’est
pas là, que je ne vois pas, je sais que le phénomène aura lieu si je poursuis
le massage, si je reste en tension. L’attention agit en diaphragme qui
concentre et qui ouvre. Petit. Liquide.
Le mouvement de l’attention est sûr et
répété, c’est celui d’une marche. Une action du rythme, polissant.
Le son des graviers surgit du pouls
nocturne, en avant-sommeil. Un marcheur dans le coussin ? nonon, mon cœur.
Mais quand même, une marche est lancée
qui fait disparaître un monde et en appelle un autre où le premier est toujours
présent.
Dans le noir, mes yeux sont un œil qui
voit de l’ultrachangeant. Des points apparaissent, une tâche bleue, floue, les
éclipse . Elle se contorsionne très vite et devient nette et jaune, verte,
bleue à nouveau, une nappe fluide qui tourne en volutes, coule à la fois vers le
centre et partout, de l’eau de couleurs qui s’efface parfois et un grand éclair
traverse le noir grouillant de piqûres lumineuses. C’est encore plus intense
qu’après le soleil. Maintenant, si je change la profondeur de champ et si je
regarde plus loin, les tâches se compliquent et deviennent des rêves. Et si à
temps, je me « désaccomode » pour voir plus près, ce ne sont que des
tâches, je réalise physiquement
l’illusion du rêve.
De la même
manière, notre « réel », si réel, si solide, serait-il aussi un
rêve ?
Quelles en sont les tâches primordiales ?
Quelles en sont les tâches primordiales ?
Comment quitter une vision
solidificatrice, plate, orpheline qui considère le monde à travers des
glaçons ?
Le chant coule de l’affinage, à 90° de
ce qui louche et tombe à faux.
Ces tâches chantent si je m’y concentre.
La berceuse s’écoule du petit.
La marche m’a bercée avant de voir le
monde. Les efforts ont failli même m’y précipiter. Depuis et activée
régulièrement par la poussée à gravir, elle est tendue dans mon écoute. Les
cailloux se fondent dans la trajectoire. Les géométries reprennent vie, par
cette « alteroptique », cet axe magique de l’attention qui,
lorsqu’elle est sans attente, prend la forme d’un sablier ouvert, sans fond. De
cette nouvelle vision plus de paradoxes , ils deviennent des évidences, plus de
clichés, ils deviennent nouveautés, plus de symboles abstraits mais des trajets à
arpenter.
Les figures du petit sonnent le plus
souvent comme des clichés pour les ogres « aplatomanes », ou plutôt
ne sonnent pas.
Ce texte par exemple peut ne pas
sonner.
L’évidence n’éveille pas l’intérêt.
Pourquoi ? Elle est un saut de l’un au même, et la répulsion des yeux
horizontaux pour ce qui a déjà été, fait mépriser les lieux communs. Ils sont
pourtant des lieux comme-un, des moyens de rassembler les cailloux pour ne pas
perdre le chemin.
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